Emany ⏀

« La malédiction de l'Eternel est sur la maison de l'impie, mais il bénit la demeure des justes. Amen.

Il est temps, ma fille. Sors et vois le ciel s'obscurcir. Sors et vois le Seigneur nous appeler au front. L'avenir sera rude, mon enfant. Le sang va couler. L'odeur de la chaire anciennement brûlée viendra sans doute hanter tes rêves. Mais n'oublie pas qui tu es. Qui nous sommes. Ce qu'ils sont. Je t'y ai préparé. Et comme l'ont fait tes ancêtres, tu serviras l'Eternel dans les plus noirs des endroits, lui confiant ton âme et ta vie.

Méfie-toi des apparences, ma fille. Ne leur offre pas la moindre grâce. Elles sont partout. ».




Le silence. Le silence et rien d'autre. Emany était assise sur sa chaise en bois et, comme chaque matin, elle parcourait, sérieuse, l'ancien testament. Les journées se ressemblaient toutes depuis ses dix-sept années de vie ; Lire les saintes écritures. Faire les cours à la maison. Prier. S'entraîner. Tout semblait parfaitement synchronisé. Son père, lui, était son pilier. Le compositeur du rythme de sa vie. Il était décideur, précepteur, juge et soutien. Il était parent, ami, professeur et modèle. Et tous deux attendaient que le monde se déchire.

Le sang sur leur main n'était certes pas sale, mais il était réel. Et malgré l'effroi que peut susciter cette idée, ôter la vie a quelque chose d'orgastique. « Nombre d'entre eux se sont perdus à cause de cela », disait-il, « n'y prend pas plaisir, mais sois-en fière ». Puisqu'après tout, il ne s'agissait que de sorcières. Depuis le premier jour, chaque Homme de sa lignée avait risqué sa vie pour débarrasser le monde de ces atrocités. Ils les avaient chassées, génération après génération, convaincus qu'un jour ils en viendraient à bout. Cette lutte était inscrite dans son ADN, il définissait qui elle était, et c'était maintenant à son tour d'honorer les siens.

Depuis le jour où la malédiction était apparue, les entraînements s'étaient faits plus intenses. Régulièrement, Emany disparaissait en forêt des jours durant. Elle priait. Elle chassait. Elle tuait. Mais pas des sorcières, non. Loin de là. Elle devait pourtant s'y préparer. La tradition voulait qu'à sa majorité, le chasseur Winter fasse sa première traque, mais la malédiction avait accéléré les choses. Les yeux de Woodbury autrefois clos semblaient maintenant doucement s'ouvrir, et chacun sait qu'il est difficile de travailler dans l'ombre lorsque tout le monde regarde.  La discrétion était pourtant l'un de ses atouts. Etrangement, et malgré sa réputation, Emany savait se faire oublier. Se dissimuler. Pas d'école. Pas d'amis. Peu de sorties. Comme si, finalement, elle n'avait jamais vraiment été là. Un simple mirage au détour d'une rue. Une idée, égarée quelque part. Une transparence qu'elle cultivait et qu'on lui avait fait cultiver, sans doute parce que ce monde auquel elle n'avait jamais pu appartenir l'effrayait, ou peut-être parce qu'elle n'avait jamais été invitée à le découvrir. Elle avait bien tenté quelque fois de se laisser aller à une curiosité qu'elle trouvait naturelle, délaissant seulement pour quelques heures le poids de sa génétique. Mais l'emprise de son père et l'amour de son Dieu l'avaient bien vite rappelés à l'ordre. De ces quelques instants de rébellion, Emany n'avait gardé qu'un travail à la bibliothèque municipale, qu'elle effectuait bien souvent au sous-sol, là où la douceur des livres anciens apaisait son anxiété.

Aujourd'hui, l'idée de remettre en question les enseignements de son père ne lui traverserait plus l'esprit. Elle en reconnaît l'importance et la justesse et, plus encore, elle comprend les sacrifices qui lui ont été imposés. L'exclusion, les moqueries, la solitude. La violence, la mort, le danger. Elle peut désormais visualiser la grandeur du but que son père et ses pairs poursuivent depuis tant d'années. Alors finalement, ses envies d'évasion et de rencontre se sont estompées jusqu'à s'effacer face à l'ampleur de la tâche qui lui incombe. Quelque part, lorsqu'elle regarde les âmes vivre autour d'elle, elle se dit qu'ils ont eu raison de profiter, d'être naïfs, de pécher. Puisque bientôt, nombre d'entres-eux seront morts et n'auront plus l'occasion d'esquisser un sourire.




Il l'avait prévenue, oui. Il l'avait entrainée. Pour autant, frappée par cette réalité, elle sentit son cœur lâcher prise. Juste quelques secondes de doutes. D'inquiétudes. Comme si, au fond, malgré la force de ses convictions, elle avait espéré ne pas être là lorsque tout cela se produirait. Et laisser la mort à une autre.

En bref: